Écrire les racines, écrire l’horizon

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Là où le jeune Nimrod scrutait l’horizon, le petit Raharimanana fouillait dans la bibliothèque de son père. Adultes, ils nous livrent quelques souvenirs d’enfance et méditent sur l’exil, l’écriture et la langue.

Le titre est évocateur : Le départ. Quand Nimrod écrit sur son enfance au Tchad, il y a comme une prémonition qui plane sur les pages : le narrateur sait qu’il va partir. Le lecteur est même tenté de penser que le jeune garçon, héros de ce court texte, sait, lui aussi, qu’il va partir. Comment pourrait-il en être autrement ? Le bonhomme de huit ans est à ce point fasciné par l’horizon qu’on ne peut lui attribuer d’autre destin que celui de sa recherche. L’horizon, c’est loin, c’est bleu, c’est chaud, c’est  » la limite du monde  » :  » L’horizon est à la fois le désir et son achèvement. C’est une place. On habite avec elle, en elle, en face d’elle. C’est le lieu total.  »
Mais n’est-ce pas l’horizon qui habite le poète ? Le regard de Nimrod sur son enfance est nostalgique, comme si l’horizon s’était déplacé en arrière, dans le passé, là où on ne peut plus revenir. Nimrod scrute ses souvenirs avec la même intensité avec laquelle il plongeait naguère ses yeux dans l’horizon : la navigation sur le fleuve Logone, au milieu des hippopotames, les émotions des premières amours, l’insolence admirée de la sœur, l’absence du père toujours parti  » évangéliser des aventuriers qui hantent les îles du lac Tchad « .
Mais ce n’est pas tant cela que l’on retient du récit. C’est plutôt cette nostalgie du poète, celui qui d’abord n’a que l’envie de partir, puis celle de revenir – même si, entre-temps, s’est glissée en lui la conscience de l’exil, cet arrière-goût d’amertume qui ne vous quittera plus jamais :  » Un jour, on revient. C’est un geste qui se conçoit dans la transe, mais, à l’arrivée, se résout en aigreur. Aussi s’inversent les perspectives. Nous étions venus au-devant de la grande médecine, nous voulions être réparés, mais voilà que nous demandons des comptes, exigeons que le bonheur d’antan nous soit rendu. Pourtant, plus rien ne nous correspond – ni l’enveloppe des choses, ni leur essence.  »
Écriture des racines
Si le récit de Nimrod est celui d’un départ, L’arbre anthropophage de Raharimanana est l’histoire d’un retour. En 2002, après les présidentielles et l’avènement de Marc Ravalomana à la tête de l’État, le père de l’auteur est arrêté et torturé. Le fils écrivain prend le chemin de l’île pour tenter de le sortir de prison. Toute la deuxième partie du livre, construite sous forme de journal intime, n’est rien d’autre que le récit de ce voyage de retour, de l’angoisse et de l’impuissance. Le fils se bat comme il peut, avec sa plume, ameute des journalistes et des militants des droits de l’homme, doute et espère.
Si le journal sert surtout à consigner les péripéties de ce combat, il est aussi prétexte à revenir sur l’enfance, à réfléchir sur la position d’écrivain, sur le rapport à l’exil et au pays d’origine. Le texte fait alors écho à la première partie de l’ouvrage, intitulée  » L’écriture des racines « , une suite de courts chapitres qui interrogent le passé de l’île, les mythes ayant pour fonction de  » mettre de l’ordre  » et d’instaurer des hiérarchies dans l’histoire mêlée de la population. Ces passages questionnent le rôle de l’écrivain, son rapport à la langue, ou plutôt aux langues : le français et le malagasy.  » Pour exprimer l’essence d’un même objet, deux mots sont possibles. Deux mots qui renvoient à deux mondes différents, à deux imaginaires différents. Est-ce une chance ? Une autre aliénation encore ?  »
C’est dans cette partie que l’on découvre les plus belles pages du livre, la poésie écorchée vive de Raharimanana. Sa plume s’accroche à des légendes, à des lettres, à des extraits de livres d’histoire, pour les recomposer, les conjuguer, en tirer un sens qui sera le sien, comme cela avait déjà été le cas dans Nour, 1947. Ainsi, cet arbre anthropophage, emprunté à un récit de voyage de 1878 d’un certain Bénédict-Henry Révoil, découvert dans un tome du Journal des voyages tombant en poussière aux puces de Montreuil, servira-t-il de titre à cet ouvrage inhabituel. De Madagascar à Montreuil, n’y aurait-il qu’un pas ?

Le Départ, de Nimrod. Ed. Actes sud, 2004, 112 p., 12 euros.
L’Arbre anthropophage, de Raharimanana. Ed. Joëlle Losfeld, 2004, 260 p., 19 euros.///Article N° : 3753

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